L’Initiative de développement économique communautaire Premières Nations-municipalités (IDEC) est un projet conjoint de la Fédération canadienne des municipalités (FCM) et de Cando (le Conseil pour l’avancement des agents de développement autochtones). De 2013 à 2016, le projet a collaboré avec six partenariats communautaires partout au Canada dans des milieux urbains, ruraux et éloignés. Des centaines de communautés ont exprimé leur intérêt à collaborer avec cette initiative unique. Par conséquent, la FCM et Cando mettent actuellement en oeuvre une deuxième phase de l’IDEC jusqu’en 2021.
L’IDEC facilite la collaboration afin de poursuivre des initiatives conjointes de développement économique communautaire (DÉC) en favorisant des relations plus solides et en appuyant des initiatives mutuellement bénéfiques. Lancé en septembre 2015, le guide « Plus forts ensembles » systématise les connaissances et l’expérience de la première phase. La méthodologie de DÉC proposée s’articule autour de quatre jalons, en commençant par établir des relations et un respect mutuel.
En 2017, l’IDEC a eu l’occasion de visiter l’un des partenariats situé dans la partie ouest de la province de Québec. Grâce à la phase 1 de l’IDEC, la Première Nation de Kebaowek (anciennement Eagle Village First Nation), la Ville de Témiscaming et la Municipalité de Kipawa ont développé une amitié tripartite. Sur cette base, ils ont décidé de poursuivre une stratégie touristique commune et d’explorer une approche coordonnée du développement économique régional. La trousse d’outils de l’IDEC comprend une étude de cas décrivant l’historique et les jalons du partenariat.
La dernière activité du partenariat dans le cadre du soutien de l’IDEC s’est tenue en juin 2015. Mais comme l’attestent notre visite et nos entrevues avec les dirigeants communautaires, la collaboration tripartite continue de prospérer.
La collaboration entre Premières Nations et municipalités s’inscrit dans la démarche nationale de Vérité et de Réconciliation
En 2013, la ville de Témiscaming (2 385 habitants) et la Première Nation Kebaowek (261 sur la réserve et 568 hors réserve) ont décrit l’état de leur relation en disant : « Nous sommes voisins, mais nous ne nous connaissons pas nécessairement – nous coexistons ». Dans le sillage du processus national de vérité et de réconciliation, ce type de situation reste trop fréquent à travers le pays.
Témiscaming et Kebaowek sont situées sur le territoire traditionnel de la nation algonquine, dans une région du Québec riche en ressources, à environ 70 kilomètres au nord-est de North Bay, en Ontario. Les deux communautés étaient préoccupées par leur dépendance à l’égard de l’industrie forestière et ont vu l’ouverture d’un nouveau parc provincial – le parc Opemican – comme un moyen de soutenir la croissance du tourisme. Elles ont déterminé qu’une approche régionale attirerait mieux les touristes et ont demandé à la municipalité de Kipawa (population 474) de les rejoindre. Un énoncé de vision conjoint a été élaboré pour guider leur collaboration : « Nous voulons créer une expérience mémorable en accueillant les visiteurs pour qu’ils partagent notre beauté naturelle, notre patrimoine culturel et notre convivialité ».
À première vue, on pourrait croire que des conditions favorables étaient en place pour cette initiative. Mais en vérité, le partenariat a eu un début difficile. Il y avait un éléphant dans la pièce : les trois communautés avaient des points de vue opposés sur une proposition de mine à ciel ouvert dans la région. Et ce n’est que suite à un effort d’ouverture et d’engagement mutuel que, au fil des mois, les leaders communautaires sont parvenus à surmonter cet obstacle important. En fait, ils ont « accepté d’être en désaccord » sur le projet de minéraux de terres rares. Les Principes de dialogue de l’IDEC ont joué un rôle déterminant dans ce processus. Les trois communautés en sont venues à mieux apprécier leurs histoires et problèmes respectifs, et le besoin de collaborer pour construire un meilleur avenir pour tout le monde.
La confiance et le respect ont été construits au fil du temps. Au cours de notre rencontre avec lui, le chef Lance Haymond a répété ces deux mots. Il a expliqué : « Comprendre et éduquer est la plus grande partie de la vérité et de la réconciliation. Lutter contre les préjugés. Peu de gens connaissent la contribution que les Premières Nations ont apportée au développement du Canada ».
Cela résonne avec ses homologues. Pour Nicole Rochon, Maire de Témiscaming : « Comprendre la culture autochtone m’a aidé à prendre conscience des contraintes et des défis auxquels le conseil de bande doit faire face. Cela reste vrai aujourd’hui. Ils doivent tout gérer; même contracter et payer les infirmières. Nous n’avons pas cette responsabilité en tant que municipalité ».
Avance rapide jusqu’en 2016, à la fin de la participation officielle à l’IDEC : les partenaires ont complété les quatre jalons. Les fondements de l’amitié étaient en place. Une stratégie touristique a été adoptée. Et une série d’objectifs clés étaient en vue, notamment : élaborer un plan de marketing touristique; créer un nom, un logo et un slogan; embaucher conjointement un agent de développement touristique; créer un site Web et du matériel promotionnel, y compris une excellente vidéo.
L’achèvement des quatre étapes du DÉC conjoint Premières Nations – Municipalités n’est pas la fin du processus : il marque le début d’une nouvelle façon de penser et de travailler entre communautés voisines. Le succès à long terme dépend du fait que le DÉC conjoint devient la « nouvelle normalité » :
- Bâtir la confiance et le respect mutuels
- Développer un large réseau d’alliés et de champions
- Prendre des engagements formels et établir des structures de gouvernance
- Traiter les problèmes difficiles à mesure qu’ils surviennent
- Essayez de nouvelles choses, apprendre et s’améliorer.
Plus que du développement économique, le DÉC est essentiel au bien-être et à l’inclusion sociale
Le chef Haymond connaît très bien sa communauté. Il parle avec conviction des conséquences du bienêtre social et des circonstances difficiles des gens. Il souligne l’héritage des pensionnats autochtones. Il connaît la responsabilité des cinq aînés restants dans sa communauté, âgés de 60 à 86 ans, à transmettre leur langue maternelle et la culture qui l’accompagne : les traditions, les noms des lacs, la connaissance de la terre. Le développement communautaire n’est pas simple et il y a beaucoup d’enjeux.
Mais pour compliquer les choses davantage, les juridictions compliquées, les arrangements juridiques et fiscaux et les mécanismes de reddition de compte ont tendance à rendre les processus de développement lourds. Comme il l’explique patiemment : « Au Canada, nous avons des communautés autochtones qui entretiennent une relation juridique avec le gouvernement fédéral. Et des municipalités qui travaillent sous la juridiction de leurs lois municipales provinciales ». Ces dynamiques créent des frontières et des silos, et rendent difficile la collaboration entre communautés voisines. Les gens circulent librement sur la terre et à travers les villages, mais les problèmes sociaux sont des îlots de solitude.
La ségrégation des systèmes scolaires en est un bon exemple. Tout au long de l’histoire des trois communautés, les systèmes scolaires anglais et français ont été planifiés séparément, et les enfants ont été séparés par la langue et la culture. Les enfants vivant dans le même quartier n’ont pas appris à se connaître et à jouer ensemble. Le racisme et l’intolérance se nourrissent de l’ignorance.
Bien que les municipalités ne soient pas responsables des écoles, Témiscaming, Kebaowek et Kipawa ont commencé à plaider ensemble pour le changement avec les commissions scolaires. Ces problèmes affectent tout le monde, et ils trouvent de la force et de l’influence avec d’autres intervenants grâce à la collaboration.
Le chef Haymond reconnaît que le partenariat a parcouru un long chemin et que cela n’a pas toujours été facile. « Par le dialogue et le respect mutuel, et la coopération, nous commençons à voir les avantages. Plus nous parlons, plus nous réalisons que nous avons des choses en commun ».
De la coexistence à la collaboration à long terme
À l’avant-garde de la collaboration avec Témiscaming et Kipawa, Justin Roy, directeur du développement économique de la Première Nation de Kebaowek, a vu la relation se développer dès les premières étapes. « Nous n’avons pas manqué une seule réunion du Comité depuis le début. Il y a plusieurs composantes à notre collaboration. Nous ne voulons pas voir nos efforts dérailler! ».
L’IDEC a fourni le soutien technique nécessaire, ainsi que des conseils et des encouragements pour atténuer les obstacles et créer des relations. « Avec le temps, nous bâtissons la confiance », ajoute-t-il. « La confiance devient de plus en plus grande. C’est un résultat majeur du projet ».
Réfléchissant aux leçons tirées du projet de l’IDEC, M. Roy est explicite que la clé du succès est la communication ouverte et la transparence. La confiance et l’amitié ont été construites en :
- Assurant une représentation égale des partenaires dans toutes les discussions
- Prenant le temps de se connaître sur des sujets tels que la gouvernance, la politique, la culture, l’histoire
- Excluant la politique de la collaboration afin de se concentrer sur des objectifs conjoints pour le bien-être de la communauté
- Créant des conversations ouvertes et en acceptant de tout mettre sur la table
- Choisissant des objectifs communs.
« Le tourisme est une industrie agréable et propre à laquelle nous pouvons tous participer », ajoute Amanda Nadon-Langlois, responsable du développement touristique pour Tourisme Kipawa. C’est une bonne fondation pour une collaboration à long terme.
Un leadership conjoint
La FCM et Cando ont été invitées à un petit événement pour le lancement du logo de Tourisme Kipawa au printemps 2017. Le logo met en vedette trois huards fiers, debout ensemble, les têtes hautes, sous un même horizon. Une belle et puissante représentation de la relation qui se développe entre les trois partenaires.
« Nous sommes trois cultures ici : les Algonquins, les descendants français, et les descendants anglais. Nous travaillons ensemble. Nous jouons ensemble. Et nous bâtissons notre avenir ensemble », a déclaré Norm Young, maire de Kipawa. Il a ajouté : « Vous ne pouvez pas travailler avec quelqu’un si vous ne le connaissez pas. La route que nous avons parcourue ensemble au cours des années a construit une grande amitié. Nous avons commencé avec l’idée du tourisme. Mais maintenant, nous commençons à penser à d’autres choses ».
L’extension de la réserve, la croissance des sentiers de motoneige d’hiver et des pistes cyclables d’été, et le développement d’activités commerciales sont sur le radar, indique Justin Roy. Grâce à leur collaboration, les communautés ont réussi à attirer trois médecins. « Nous voyons émerger de nouveaux leaders. Nous voyons de nouveaux visages. Des jeunes. Nous discutons de choses dont nous n’aurions pas pu discuter il y a quelques années. Cela rend nos communautés meilleures ».
Lors de l’événement avec Tourisme Kipawa, tous les partenaires ont reconnu la contribution importante de l’IDEC pour permettre et entretenir leur relation.
Helen Patterson, gestionnaire de projet pour l’IDEC, a rappelé aux invités et aux partenaires : « Nous vous avons demandé de nous montrer le chemin pour la collaboration entre municipalités et Premières Nations. Vous avez fait preuve de rigueur, d’engagement et de dévouement. Félicitations pour votre succès! Merci d’être l’exemple ».
Le lancement a culminé avec un aperçu de la vidéo promotionnelle développée dans le cadre de la stratégie touristique. Sous le thème approprié « Au coeur de la nature », les trois communautés sont fortes de leurs liens alors qu’elles prennent leur envol ensemble.